La poésie orale
Il
y a peu, sur sa page face book, Jean-Claude Awono, Directeur du Centre culturel
Francis Bebey écrivait : « Et
si on parlait de poésie orale ? Quand on parle de cette poésie-là, on évoque
toujours les chansons populaires et les griots, le rap et le slam aussi.
Avez-vous le sentiment qu'elle se limite à ces seuls aspects ? Le débat est
ouvert. Essayons de la définir, de la distinguer des autres formes d'expression
poétique, de dégager sa ligne de force, sa trajectoire esthétique ».
Nous
trouvions le cri justifié, la proposition aussi et la suggestion des lignes de
réflexion intéressante. Comme aussi nous trouvions en la proposition une occasion
d’échange sur le sujet, nous reprenions à notre compte l’idée et faisions la
réflexion que voici : La poésie orale, un genre poétique que l’on ne sait
définir peut-elle être distinguée des autres formes poétiques? Quel serait, si
nous le pensons possible, sa ligne de force ? Et alors, peut-on lui
trouver une trajectoire esthétique?
I - Définir la poésie orale
A-
Qu’est-ce qu’une poésie orale ?
Si,
elle est, elle doit avoir ses manières de se manifester. Revenons pour cela à
l’observation de sa manière d’être. A ce propos, les chansons pygmées qui
montent du fond de la forêt depuis toujours ne manquent pas de rythme, de
musicalité et de poésie. Les chants Ewondo, Betti, Sawa, Bassa et autres plus
près de la forêt sont des chefs-d’œuvre poétiques dits à l’occasion des
manifestations spirituelles, festives ou guerrières. Des pays savaniens
camerounais, jusqu’aux portes du désert au Tchad, les contes comme les chants
sont des marqueurs de la culture musicale et de l’expression poétique.
Les
chants ont pour support des paroles. Les paroles débitent des textes poétiques,
et nous sommes en présence des créations littéraires orales mises à la
disposition du public au moyen des paroles, expression immédiate de la pensée,
décrivant des situations ou des contextes. Elles sont la marque des poètes, car
dans nos sociétés africanophones, la poésie sait aussi se distinguer de la
prose, conte oral qui sait lui aussi narrer, décrire bien les situations ou
objets, les circonstances, le contexte de l’invention et de la production du
texte.
Mais,
conte ou poésie orale peut-elle s’écrire ? Et qu’est-ce qu’écrire
oralement? Je serais tenté de dire qu’écrire oralement c’est, plutôt que de
coucher à l’aide d’une plume, ou de dessiner sur une feuille les mots qui
deviendront les textes conçus par l’esprit après réflexion, l’auteur d’un texte
oral dit par les moyens de la parole, les mots qui s’articulent immédiatement
et se mettent aussitôt en ordre, comme les danseurs d’une troupe théâtrale,
pour former les textes mis à la disposition des auditeurs, qui les consomment
aussitôt, et peuvent dire tout aussi promptement, leur approbation ou leur
rejet, bruyamment ou silencieusement.
L’oralité
est, comme l’écrit, une manière de produire des textes. La production poétique
dans le registre de l’oralité, a toujours été marquée par l’oralité et la
musicalité dès ses origines car, c’est une écriture qui, par la recherche de
rythmes particuliers telle que l’utilisation des vers, des effets sonores comme
les rimes, a une fonction mnémotechnique pour une transmission orale
pénétrante, que l’art oratoire sait valoriser. Cette forme propre au texte
poétique fait que, celui-ci est, dans une production orale, destiné à être
entendu plutôt qu’à être abordé par la lecture. Il n’y a pas entre l’orateur et
l’auditoire d’objet (livre), intermédiaire pour un texte qui, immédiatement
élaboré et traduisant l’état de l’âme, rend le partage quasi immédiat par
l’oralité.
Faite
pour, sur le plan spirituel, dire des plaintes et complaintes, des prières et
des louanges aux dieux, et sur le plan du conte et de la réflexion, dire l’état
de l’âme et la leçon philosophique de la vie et des choses, la poésie est
associée au chant, et à l’exaltation puisque, la musique et la poésie sont
aussi étroitement liées pour charmer et enchanter. Voila ce que nous pensons de
la poésie orale. Mais, peut-on la définir avec exactitude sans l’enfermer dans
une camisole ?
B
- Quelle définition ?
Aujourd’hui,
il est loisible de noter que la poésie en linguistique, est décrite comme un
énoncé centré sur la forme du message où la fonction est prédominante. Si pour
la prose l’important est le « signifié », et qu’elle a pour but la
transmission d’informations, et que pour cela, elle se définit comme une marche
en avant qui va toucher une cible et révéler quelque chose, la poésie en revanche
privilégie la « forme » ; va vers ce qui est significatif, et
alors, sa démarche « réflexive », est symbolisée par le
« vers », et montre une progression dans la reprise, telle les
mouvements d’une spirale.
La
poésie va donc se définir, non pas par des thèmes particuliers, mais par le
soin apporté au signifiant pour démultiplier le signifié. Alors,
l’enrichissement du matériau linguistique va, dans sa création, prendre en
compte autant le travail sur les aspects formels que le poids des mots. Dans
l’expression poétique orale africanophone, le terme « poésie », qui
renvoie simplement à la beauté harmonieuse associée à une certaine
sentimentalité, est largement dépassé pour aboutir à des orientations variées
selon la dominante que retient le poète oralement dans sa production. Une telle poésie a
forcément sa ligne de force.
II - Sa ligne de force
A - En a-elle une?
Elle
va donc dépendre de la culture et du poète. Dans la littérature européenne, la
lyre d’Orphée ou la flûte d’Apollon évoque l’origine orale et chantée de la
poésie. Elle marque, dit-on, une expression poétique qui se préoccupe des
rythmes avec le compte des syllabes, le jeu des accents et des pauses. Ici, la
poésie exploite aussi les sonorités, particulièrement avec la rime
c’est-à-dire, le retour des mêmes sons à la fin d’au moins deux vers, avec
pour base, la dernière voyelle tonique et ses combinaisons de genre
c’est-à-dire, des rimes masculines ou féminines. Elle exploite aussi des
dispositions c’est-à-dire des rimes suivies, croisées ou embrassées, et de
richesse c’est-à-dire, des rimes plates, suffisantes ou riches.
Pour
être encore plus policée et expressive d’une autre manière, elle va utiliser
aussi les reprises de sons dans un ou plusieurs vers, où on a des allitérations et
des assonances, le jeu du refrain comme c’est le cas dans la ballade,
ou le Pont Mirabeau d’Apollinaire.
Si on admet qu’on a dès à présent une certaine idée de la ligne de force de ce
type de poésie, on conviendra qu’ailleurs, notamment en culture africaphone,
les choses ont pris une autre forme.
Dans
la poésie nègre, les poètes de la négritude Aimé Césaire et Léopold Sedar
Senghor par exemple, représentent une branche particulière de la
poésie francophone du XXe siècle, dont
l’engagement et les idées véhiculées, bien que très forts, sont encore assez
confidentiels en France. Édouard
Glissant, poète du «Tout-Monde» et de la « Philosophie de la
relation » est le digne fils spirituel au xxi e siècle.
Aimé
Césaire, chantre des Antilles, a cette volonté de « plonger dans la vérité
de l’être » car, il est hanté par la question du déracinement des
descendants d’esclaves. Léopold Sédar Senghor, lui, a créé une poésie à
vocation universelle ayant l’espérance pour leitmotiv. L’utilisation de la
langue française et les références positives à la culture françaises s’y mêlent
aux sujets historiques africains qu’il vivifie
dan Chaka.
Pour
notre part, si par la poésie nous recherchons, au travers de l’existence la vérité,
c’est à travers l’amour qui fait l’autonomie de l’homme. Puisqu’il nous arrive
de dire en vers les discours sur la vie, il n’est pas rare de trouver dans
certains de nos poèmes, des vers solitaires qui, comme des frondeurs, se
singularisent par leur solitude en ne rimant avec aucun autre. Quelque fois
aussi, le vers en apparence solitaire rime avec un autre qui a eu l’idée de se
mettre plus loin dans le texte, selon la circonstance, comme pour taquiner le
lecteur et donner à la poésie une autre considération quant-à la ligne choisie.
La liberté ici est d’or, et n’est-il pas commode pour le poète de se dérober de
l’enfermement stylistique? Comment donc dire la trajectoire empruntée par la
poésie orale ?
III – Sa trajectoire esthétique
A - Peut-on,
en effet, lui trouver une trajectoire?
Nous
dirons qu’elle a certainement une qu’elle a choisie mais qu’il faut
découvrir. Sur le chemin de l’esthétique choisi par la poésie orale,
revenons au cas plus général de l’africaphonie. Dans la culture orale
africaine, toute expression littéraire est poétique, chaque fois qu’il s’agit
de l’art oratoire « sentencier » (puisque dégageant la vérité en
sentence), du chant ou du théâtre. Alors, tout « fabricant de texte »
est potentiellement un poète. En cela, les liens entre la Métaphysique
et la Poétique
sont nombreux bien que dispersés. Un détour chez les autres cultures est
nécessaire.
Comment
les autres cultures regardent-elles la chose en effet ? Aristote distingue dans
la Métaphysique
trois types de sciences: les sciences théorétiques, les sciences pratiques et
les sciences poétiques. La
Poétique étudie la partie poétique dans une perspective
descriptive et normative. Dans ce cas, il s’établit forcement une relation
entre la poétique l’art oratoire. Il devient évident qu’il y a des liens entre la Poétique et la Rhétorique dès
lorsqu’il s’agit pour l’une comme pour l’autre de persuasion, de métaphore, et
d’expression. En plus, la poétique et la rhétorique visent par leur production
verbale l’efficacité lorsqu’il s’agit de convaincre les auditeurs pour la
rhétorique, et les spectateurs pour les arts poétiques.
Les
philosophes grecs ont cherché à affiner la définition de la poésie et Aristote dans sa Poétique identifie
trois genres poétiques : la poésie épique, la poésie comique et la poésie
dramatique. Et nous sommes persuadé qu’à Yaoundé comme à Dschang, à Douala
comme à Bertoua, à Kribi comme à N’Gaoundéré et à Maroua, la population connaît
plus d’un comique, d’un dramaturge.
B - Que disent les théoriciens?
Les
théoriciens de l’esthétique ont, dans la définition de la poésie, retenu trois
genres : l’épopée,
la poésie
lyrique et la poésie dramatique. L’utilisation du vers s’imposa comme la
première caractéristique de la poésie, la différenciait ainsi de la prose à qui revient
l’expression commune et pouvait recevoir le qualificatif d’art prosaïque. La
ligne de force de la poésie orale en Afrique reste celle qui a toujours été
dans son essence traditionnelle, tirant son fondement dans l’art culturel
africanophone s’adaptant à la situation dont l’âme se fait écho dans son état
et psalmique lorsqu’il s’agit d’exalter une situation ou la vie. Seul le
rythme, la musicalité et le mouvement du cœur importent.
Conclusion
Arriver
à ce point, notre réflexion n’épuise pas le sujet ; elle n’est qu’un point
de vue, et il est normale que nous continuons à dire : Mais, à la poésie
orale, peut-on lui trouver une trajectoire esthétique ; de dire que le
mot poésie a toujours évolué vers un sens plus restrictif en
s’appliquant aux textes en vers qui ont fait un emploi privilégié des
ressources rhétoriques sans préjuger des contenus. C’est pourquoi on a eu la
poésie descriptive, narrative et philosophique avant de voir s’ouvrir une place
grandissante à l’expression des sentiments.
Cela
est fort vrai mais, on peut dire que la première expression littéraire de
l’humanité qui a utilisé le rythme comme aide à
la mémorisation et à la transmission orale est la poésie. Elle apparaît d’abord
dans un cadre religieux et social en instituant les mythes fondateurs dans
toutes les cultures, que ce soit avec le chant et contes d’Afrique et du
Cameroun, l’épopée de Gilgamesh en Mésopotamie, le Mahabharata indiens, la poésie dans l'Egypte
antique, la Bible
des hébreux, l’Iliade et l’Odyssée des Grecs, ou l’Énéide des Latins.
Vu
ainsi, on peut en plus optimiste, et compte tenu de la conviction qui nous
envahit depuis que nous en parlons, déclarer que la poésie orale a une
personnalité, une identité, idée qui n’engage que nous et, comme il faut encore
y travailler, doutons encore pour mieux aller à sa connaissance, ce qui reste le travail de réflexion à tout un chacun.
Daniel
TONGNIN
Poète
et Ecrivain
Le 14 mai 2014
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