Le Romantisme, dans
notre esprit, désigne un art, une
pensée et un état d’âme caractéristiques
de ces poètes camerounais que j’ai eu le privilège de lire. Je ne les réduis
pas seulement à cela, car ils sont bien plus grands et se sont exprimés sur
d’autres sujets et bien mieux, et ne sont pas seulement romantiques. Mais, je
m’oblige à retenir chez eux ce qui me sied : le romantisme, et bien mieux,
le romantisme camerounais. Ils ont tous cet art oratoire bien camerounais qui
les caractérisent (I), et leur insatisfaction les oblige à crier leur amour de
l’Afrique, du Cameroun et de la vie tout simplement dans un romantisme tout
aussi camerounais (II).
I – Caractéristiques du romantisme camerounais
Ce qui caractérise ce romantisme-là, c’est en premier
son art oratoire et sa question théorique. L'art
oratoire il est vrai, est aussi vieux que le monde et a connu son
paroxysme voire son apogée à l'époque des orateurs de l'antiquité. Mais,
n’allez pas croire qu’il s’agit de l’antiquité européenne. J’ai toujours
entendu dire, dans la société camerounaise de l’Ouest, que celui qui sait dire
plus que qui conque, les choses avec une manière qui sied le faisait avec
art. Si dans le peuple des voix louent ainsi la dextérité oratoire des uns de
ses membres, c’est qu’elles apprécient l’exécution selon des règles un art
oratoire camerounais. Je sais aussi que dans toutes les sociétés camerounaises,
les peuples ont et pratiquent cet art, et comme ils détiennent une part de la
vérité universelle, il est bon de reconnaître qu’ils l’ont depuis leur antiquité
dans leur patrimoine culturel. Ils ne la tiennent d’aucun autre peuple et n’ont
rien plagié sinon qu’ils ont toujours cultivé cet art-là. Les gens des cultures
importées ont, le temps de leur domination sur la société africaine, fait
croire que les sociétés de ce continent-là n’avaient pas de culture et dont pas
d’antiquité, et ont prétendu leur apporter une dont l’antiquité serait plus
éclairante, mensonge que la culture africaine dénonce, en allant chercher dans
l’oralité la justification.
Aujourd'hui le Cameroun voit son art oratoire refaire
surface, sous une autre dynamique et donner plus de sens à l'oralité
traditionnelle. Les comédiens (Avec Jean-Michel Kankan et bien d’autres plus
jeunes) et d’autres artistes le montrent. On peut parler dorénavant de
"néo-oralité" ou d'art oratoire moderne qui siège près de la
tradition orale. L'art oratoire moderne prend plusieurs formes : les pratiques
de prise de parole en public à l’occidental, les improvisations et le débat
compétitif et structuré avec le Slam par exemple. En somme, c'est l'art de bien
parler, l'art de convaincre.
J’ai appris, et c’est la seconde caractéristique du
romantisme camerounais, que le développement de cet art prenait une autre
dimension et que la ville
de Dschang se « dotera d’un Atelier de formation des jeunes aux techniques
d’Art Oratoire et de prise de parole en public ». L’Atelier, disait-on
devait avoir pour cadre l’AFC de Dschang, acteur culturel dans cette ville.
La poésie, dans le développement de cet art, prend
toute sa place. Les écrivains aiment l’art oratoire et dire son poème en
public comme l’ont fait récemment les jeunes du Cercle Littéraire des jeunes du
Cameroun, c’est mettre aussi l’oralité en compétition avec l’écrit. La
poésie, comme art d’expression du romantisme, se trouve privilégiée comme étant
plus apte à décrire les passions et les mouvements de l’âme. Les poètes
romantiques camerounais, puisqu’on en n’a pas encore parlé, du moins à notre
connaissance, intriguent car la question de leur source d’inspiration se pose
et naturellement la question théorique de son discours poétique: sa seconde
caractéristique. La poésie romantique camerounaise est une poésie
universelle progressive. Elle n'est pas seulement destinée à réunir tous les
genres littéraires séparés de la poésie mais veut aussi faire se toucher
poésie, philosophie et rhétorique. On comprend qu’elle ne peut échapper à
l’analyse théorique de son discours et de sa source d’inspiration par exemple.
L’Afrique, le Cameroun, la vie sociale, les pouvoirs,
l’asservissement de l’homme par le développement et l’amour de l’être aimé
entre autres, constituent en quelque sorte, les paysages qui fondent leur
inspiration. Paysage et état d’âme se retrouvent dans la poésie des romantiques
camerounais et nous font dire que la nature de cette poésie n’est pas seulement
d’être camerounaise, mais aussi d’être une poésie confidente, consolatrice, et
un compagnon sur le chemin de la vie. A travers elle, le romantique exprime sa
sensibilité. On cherche ses symboles, et la découvre contemplative comme disait
Victor Hugo et le poète, ce rêveur d’un lendemain meilleurs qui fonde
l’espérance comme Djimeli Raoul dans « Exaspération et espérance, fait
penser aussi à la correspondance de Baudelaire.
Leur attrait pour l’Afrique (Benjamin Guifo dans
Au-delà des mots) pour le pays camerounais (Raoul Djimeli dans En attendant les
jours qui viennent) et ce que la vie y impose n’exprime-il pas le goût d’une
sorte de pittoresque ? Et ne sommes-nous pas face à un mode du
« nouveau monde poétique», des mondes sous l’emprise du mondialisme où la
vie est de plus en plus difficile ?
Dans l’expression de ce romantisme tout camerounais,
l’étrange vient parfois de notre passé puisque les romantiques se passionnent
pour l’Afrique et le Cameroun d’aujourd’hui où il faisait moins bon vivre (
Jean-Claude Awono dans « A l’affût du matin rouge ») ; pour le
Cameroun qui doit encore se libérer de la domination pour être capable de se
faire confiance ou bons patriotes-gestionnaires du mieux-être, et pour
construire l’avenir que l’expression de l’espérance charrie comme des ruisseaux
nés des pluies diluviennes qui charrieraient des cailloux.
C’est ici qu’on trouve le Moi des romantiques camerounais. Le romantique est ici le poète ou le
romancier lyrique. Si l’écrivain d’aujourd’hui donne à voir un individualiste
qui met sa sensibilité et son art à son propre service, c’est que le moi de
l’enfance, le moi amoureux, le moi en quête du bonheur voire de spiritualité,
reste la source d’inspiration. Pour cela, il faut qu’il y ait eu un «Mal du
siècle» qui a enclenché en lui le sentiment de malaise d’où l’insatisfaction,
son crie d’amour et le développement d’un discours romantique.
II – Le romantisme camerounais
Sentiment de malaise et d’insatisfaction, voilà,
peut-on dire, ce qui engendre le romantisme camerounais. Il éprouve un
sentiment d’inadaptation par rapport à la rapidité des bouleversements historiques.
Si nous regardons Musset dont le héros déplore l’absence d’idéal,
l’impossibilité de s’illustrer sur les champs de bataille depuis la défaite de
Waterloo, on peut dire que les jeunes poètes camerounais font en quelque sorte
le même constat puisqu’ils ne peuvent pas s’illustrer dans le champ de la
bataille pour réussir la vie depuis la chute du colonialisme. Le romantique
camerounais pense ne plus avoir sa place en ce monde auquel il ne s'identifie
plus. Mais sa révolte l’emmène à imaginer les temps nouveaux. Alors, en proie
au «vague des passions» il s’indigne ou, accuse la société qui ne le comprend
pas. Il s’en prend à l’esprit corrompus des usurpateurs des pouvoirs et
l’embourgeoisement de corrompus, au non développement incluant la jeunesse. Comme
ailleurs dans d’autres sociétés, le romantique camerounais est avant tout un
anticonformiste qui provoque pour masquer peut-être son malaise ou pour montrer
le disfonctionnement de la société.
L’homme, on le sait, est voué à la souffrance. Le
romantique sous son effet, finit par s’enfermer dans la tristesse ou la
passion amoureuse dont il semble avoir besoin. Lyrique, la compassion jaillit
de son âme et, révolté et voulant faire triompher la justice, il peut comme
Paul Dakeyo, dire en amoureux : nous reviendrons. Le thème du
déclin, de l’automne d’une vie difficile et de ses tempêtes, est un lien commun
de l’esprit romantique. Etre à part, voué par la volonté du bon Dieu à un
destin sur lequel il n’a aucune prise, le romantique va mettre à profit cette
insatisfaction pour échapper au monde soit par le rêve et l’espérance (Abad
Boumsong, auteur du livre " Le Livre du néant", Raoul Djimeli in
Exaspération et Espérance, inédit) puisque l’imagination est «la reine des
facultés» et «grande plongeuse» par l’évasion dans le temps, l’espace, le
goût de l’horreur est de voir en « demain », le temps des
réalisations des projets, fruit de l’espérance : il voudra par le
dépassement de la pensée réaliser la transformation du monde. On sent que
le romantique reste insatisfait et pour rester confiant dans l’avenir, la
question est : d’où vient sa force de sa foi en l’avenir.
Pour le romantique, la passion est une source
d’énergie. Si le romantique reste un insatisfait face aux évolutions
imparfaites du monde et des situations, et manifeste sa tristesse et sa
révolte, c’est qu’il n’est pas satisfait. Cette insatisfaction et cette
tristesse peuvent cependant être positives dans la mesure où elles deviennent
chez certains romantiques une source d’énergie et de révolte (Benjamin Guifo
dans « Mots pour Maux », Paul Dakeyo avec nous reviendrons). La
détermination à revenir, fait du romantique un révolutionnaire et le lyrisme
dans son expression vient nourrir sa passion.
L'exaltation de la passion est source d’énergie, et
la méditation sur l’histoire montre qu’au sentiment de la fuite du temps, de la
vie éphémère de l’homme, l’écrivain romantique peut opposer des vastes
mouvements de l’histoire (Daniel Tongning avec « Discours
poétiques »), les épopées de l’humanité comme le firent Chateaubriand et
Hugo et Paul Dakeyo et bien d’autres dans le monde poétique camerounais.
L’engagement du Poète romantique dans l’action
politique ou sociale comme le firent Lamartine, Hugo, et Vigny en leur temps et
aujourd’hui Daniel Tongning, ne révèle qu’une prise de conscience du romantique
d’une mission à accomplir pour l’amélioration du sort de l’humanité. Alors le
poète est un guide, un phare, un mage, un «prophète chargé d’une mission divine.
Jean-Claude Awono avec « A l’affût du matin rouge », met l'art
poétique au service des hommes par une participation directe aux problèmes de
son temps. Ici, l'écrivain engagé est actif dans son époque, et son œuvre a
pour lui une utilité immédiate. J’y vois une sorte de réquisitoire contre le
traitement imposé à l’Enseignant qui ne doit qu’obéir et qui a choisi de
combattre contre la dictature de l’administration. Pourtant, à l’origine, le
romantique ou le poète est politiquement conservateur. Il n’est pas le
révolutionnaire mais un individualiste et un élitiste qui prône le patriotisme,
et ce n’est que progressivement, avec la complexification des situations vers
le regrettable qu’il évoluera vers la démocratie et l'internationalisme.
Le romantique camerounais est toujours en quête d’un
absolu. Aussi, comme l’homme est avant tout une âme, il a la faculté de choisir
le Bien contre le Mal, l’Esprit contre la Matière. Les poètes romantiques camerounais
expriment dans leurs œuvres cette recherche du bien. On retrouvera ici aussi
bien René Philombe avec « l'homme qui te ressemble », chez Benjamin
Guifo, Daniel Tongning que chez Jean-Claude Awono et Raoul Djimeli cette
recherche du bien contre le mal.
Au total, Le
romantisme camerounais, une nouvelle sensibilité qui proclame le culte du moi
du poète, est l’expression des sentiments de celui-ci jusqu'à ses passions. Issu des
bouleversements politiques et sociaux camerounais, il met l'homme et l'artiste
devant un destin improbable et inquiétant. La vision dramatique de l'humanité
camerounaise par ces poètes est commune à tous les arts, même au théâtre à la
camerounaise, sous la magnificence des décors qu’offrent les salles ou les
paysages divers qui le fondent. Le réel, que ces romantiques rendent expressif,
dramatique, l'emporte sur le bel idéal proclamé et jamais atteint.
Lyrique, le poète privilégie des
genres particuliers comme l’élégie ou
la célébration, variant les tons et allant du chuchotement au cri, exprimant
aussi bien le bonheur, l'exaltation que la douleur, le désarroi ou le sentiment
du tragique. J’ai trouvé tout cela dans l’expression des poètes camerounais.
Leurs réactions et leurs sentiments en font des lyriques et leur lyrisme ne
dissocie pas leur expression de la poésie engagée. Le lyrisme romantique sait
s'élargir et, dépassant les thèmes de l'amour et de la fuite du temps ou de la
nature, pour s'ouvrir à une inspiration humanitaire et alors, exprimant tantôt
une interrogation pathétique sur le destin de l'humanité, tantôt une foi
enthousiaste dans l'humanité, sait être protestataire.
Il est donc certain qu’il y a dans le monde poétique
camerounais, des poètes romantiques. Ce romantisme-là pose plus de questions et
interroge le monde littéraire camerounais. Nous avons soulevé le
problème ; il reste à le traiter. La question de la poésie romantique
camerounaise se pose désormais et celle de son fondement théorique devra, elle
aussi, être abordée. Ces deux questions interrogeront le chercheur sur
connaissance de la famille poétique camerounaise aujourd’hui dispersée.
Pour les poètes romantiques camerounais, nous
ne les avons pas tous cités. Nous n’avions pas cette prétention et n’avons
mentionnés que ceux que nous avons eu le privilège de lire en espérant
découvrir les autres. Nous espérons que le Centre Littéraire des Jeunes
Camerounais se fera le devoir de nous éclairer.
Daniel Tongning
Avril 2015
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