L'Etat voyou
Dans une volonté de reconstituer un empire, la Russie n’a cessé de suscité des révoltes des populations russophones introduites dans des territoires des républiques ex-soviétiques par les Bolchevicks. L’annexion réussie de la Crimée aux dépens de l’Ukraine, avait encouragé le président Poutine dans sa volonté d e soumettre ce pays au nom d’un amour forcé.
Pour réaliser son objectif, le président Poutine a adopté, dans la vie internationale, le comportement d’un individu qui traîne dans les rues, mal élevé, volontiers délinquant et, n’eût été le statut de la Russie, puissance membre du Conseil de sécurité des nations Unies, on aurait dit un chef d’Etat marginal, un voyou des faubourgs des nations, ou encore, un chef d’Etat qui trompe autrui, escroque la crédulité des autres nations et, finalement, se comporte comme un criminel, agressif et violent.
De sa violation du droit international, de par sa surdité à l’appel à la raison de ses Etats amis, il fait aujourd’hui de la Russie un de ces Etats qu’on qualifierait de voyous.
Mais, qu’est-ce qu’un Etat voyou ? Peut-on dire aujourd’hui que, malgré son statut de Grande Puissance, la Russie se comporte en Etat voyous ?
I – Qu’est-ce qu’un Etat voyous
A - Apparition d’une terminologie
En France, l’affaire Metaleurop, fonderie de métaux non ferreux fermée en 2003, a eu pour conséquence, la diffusion dans les médias l’expression de patron voyou. La fermeture brutale de cette entreprise accompagnée du licenciement de huit cents personnes avait suscité une vague d’indignations. Ce cas illustrait une forme « d’illégalisme des droits » dans le domaine des affaires. Cet illégalisme était caractérisée par des stratégies de contournement des obligations fiscales et sociales, par des pratiques de fraude caractérisée par le délit d’initié, par la diffusion d’informations fausses voire trompeuses, et par la « prédation » de l’actionnaire de référence du groupe alors propriétaire de l’usine.
Toutefois, malgré la stigmatisation publique des méthodes de ceux qu’on nommerait patron voyou , ce cas montrait les difficultés de la justice à repérer les fraudes et les délits dans les stratégies de jeu avec les règles. Les processus de décision se sont opacifiés et les responsabilités se sont diluées avec l’éclatement des organisations en de multiples entités telle que maison mère, ensemble de filiales, participations croisées, entre autres. En plus, les causes qui ont participé à la fermeture brutale de cette entreprise étaient diverses. On peut citer la prédation de l’actionnaire de référence qui n’a pu s’imposer qu’en raison d’une insuffisante vigilance collective vis-à-vis de ses stratégies, ainsi que ses pratiques de direction. Le manque de vigilance s’expliquait par les défaillances de l’organisation interne de l’entreprise, par la désolidarisation progressive de ses soutiens locaux en raison d’une pollution historique. Ces pratiques ont permis de définir ce que c’était un patron voyou.
B – concept d’Etats voyous
De même, comme des
organisations religieuses qui se lancent à la déstabilisations des Etats en
violation des lois et des principes moraux soulèvent des réprobations, que dire
des Etats qui violent les lois et conventions internationales, doutent ou
portent atteinte à la souveraineté des Etats membre de l’ONU ? Si on les
qualifie de voyous alors, on peut discuter de ce qui fait leur caractère de voyou.
Le concept d’Etat
voyou avait été forgé par Antony Lake, alors conseiller du président Bill
Clinton pour la Sécurité nationale, pour désigner les États caractérisés par
une incapacité chronique à traiter avec
le monde extérieur, qui tentent d’acquérir des armes de destruction massive,
soutiennent les groupes terroristes, maltraitent leurs populations ou sont hostiles aux États-Unis. Madeleine Albright,
Secrétaire d’État de Bill Clinton de 1997 à 2001, remplaça cette expression par
celle des « États préoccupants » ou
« States of concern ». Les Etas préoccupants, selon elle, représentaient un danger en ce qu’ils ne respectaient pas les règles
établies de la société internationale et devaient être sanctionnés.
Aussi, dès son entrée
en fonction, George W. Bush rétablit l’appellation d’« État voyou ». Parmi les
critères figuraient le caractère dictatorial du régime, la participation à la
prolifération des armes de destruction massive et les atteintes à la sécurité
internationale.
Cependant, le concept
d’État voyou pose plusieurs problèmes. Qui fixe les critères et les sanctions ?
Seuls les États-Unis à ce moment-là pouvaient déterminer la culpabilité et se
réservaient alors le droit, et selon les circonstances, de sanctionner ou non.
La nature des infractions n’était pas davantage définie : la totalité des
dictatures n’apparaissait pas dans la liste. Les plus cruelles pouvaient y
échapper, de même que certains pays nucléaires officieux comme l’Inde, le
Pakistan ou Israël. Les atteintes à la sécurité internationale pouvaient, selon
l’Etat concerné, être interprétées de
manière très différente. Ce qui faisait réellement basculer dans la catégorie «
État voyou » était, dans les faits, l’opposition à la politique extérieure
américaine.
En janvier 2002, G.W.
Bush donnait une liste de trois pays formant « l’Axe du mal » : Irak, Iran et
Corée du Nord. Le discours et la guerre d’Irak ont alors largement contribué à
convaincre le régime nord-coréen que sa survie dépendait de sa force nucléaire
plus que de la charte de l’ONU. La notion d’Etat voyou ressurgit ensuite dans
la bouche du président D. Trump. Mais il convient de se demander si les
États-Unis, qui restent à l’écart de nombreux textes internationaux, et qui ont
lancé la guerre illégale d’Irak en 2003 et ont créé le camp de Guantanamo, sont
les mieux placés pour établir une liste d’« État voyou ». En effet, le voyou
est celui qui ne respecte pas la loi officielle, mais qui établit lui-même la
sienne. C’est ce que font très souvent les États-Unis.
Le président D. Trump
concevait son pays comme ayant une destinée manifeste, au-dessus des lois,
voire comme étant seuls à pouvoir les édicter. Le multilatéralisme ne faisait
pas partie de son vocabulaire. Ses rivaux ou opposants devenaient des hors-la-loi.
Le problème de ce concept n’est pas seulement son caractère immoral, mais sa
dangerosité, au sein d’un monde qui n’est pas unipolaire.
Depuis l’origine, ceux qui ont évoqué les « États voyous », loin d’avoir un comportement de gentlemen, ont été à l’origine de bien des désordres, voire des catastrophes. Aujourd’hui, le Président Baden qualifie Poutine de « criminel de guerre.
II - La Russie un Etat Voyou ?
En déclarant la guerre à l’Ukraine et en envahissant son territoire, la Russie devient-elle un Etat voyou ? Et sur quel fondement ?
A)- De l’autoritarisme à l’Etat voyou
Le terme autoritarisme
désigne aussi bien un comportement individuel que le mode de fonctionnement
d'une structure politique. L'autoritarisme consiste en une prééminence, en une
hypertrophie de l'autorité érigée en valeur suprême. Un régime politique autoritaire
est celui qui, par divers moyens tels que la propagande, l’encadrement de la
population, la répression, cherche la soumission et l'obéissance de la société.
Si des chercheurs professeurs en science politique définissent l'autoritarisme
comme un des trois grands types de systèmes politiques avec la démocratie et le
totalitarisme, plusieurs autres considèrent cette classification comme trop
formelle et soutiennent qu’elle ne correspond pas à la réalité. Un Etat qui a
fait de l’autoritarisme son mode de fonctionnement est un Etat autoritaire.
Pour Juan Linz, qui
fut l'un des premiers à théoriser le sujet, les régimes autoritaires sont des
systèmes politiques au pluralisme limité, politiquement non responsables, sans
idéologie élaborée et directrice, mais pourvus de mentalités spécifiques, sans
mobilisation politique extensive ou intensive, excepté à certaines étapes de
leur développement, et dans lesquels un leader et, occasionnellement, un petit
groupe exerce le pouvoir à l’intérieur de limites formellement mal définies mais
en fait plutôt prévisibles ».
Les régimes
autoritaires présentent rarement des caractéristiques démocratiques. Ils
s'opposent au parlementarisme et prospèrent sur la perte de crédibilité de ce
système politique. La population ou une de ses composantes ne peut destituer le
pouvoir en place. Critiquer le pouvoir autoritaire ou exiger de lui une
décision favorable à l'ensemble du peuple est pour ce pouvoir un crime qui se
paye amèrement.
D'après Juan Linz, les
régimes autoritaires ne se rattachent ni aux régimes démocratiques, ni aux
régimes totalitaires. La comparaison avec un régime totalitaire est facile, cependant
il existe des nuances entre ces deux types de régimes. L'autoritarisme est plus
général. Le régime dictatorial se veut autoritaire et peut ne pas être une
dictature au sens propre. Il peut ne pas être totalitaire.
Cela se voit souvent. C’est
le cas par exemple lorsqu'une ethnie minoritaire prend pouvoir dans un pays et
qu'elle exerce des lois que doivent suivre la majorité qui n'est pas au
pouvoir. Alors, elle veille à ce que ces lois encadrent toutes les sphères
d'activités de manière à soumettre la population.
Ainsi donc, le totalitarisme se veut autoritaire sur l'ensemble de la population alors que la dictature se veut autoritaire parce qu’elle veut « unifier le chef l'État et le peuple », sous le bon vouloir du chef d'État, et suivant ses caprices. Par contre, dans le régime autoritaire les dirigeants n’obligent pas les citoyens à adhérer à une idéologie.
B – Mais, la Russie est-elle un Etat voyou ?
La question est :
voyou par rapport à quoi et à qui. La Russie, sans raison a envahi l’Ukraine,
Etat membre de l’ONU comme elle. Dans le cadre des nations Unies, la Russie est
membre du Conseil de Sécurité et donc, fait partie des nations qui devraient
veiller au respect de l’indépendance des Nations, à garantir l’application du
droit international. Elle a, par son acte, violé ce droit et s’est située en
dehors de la légalité. Vladimir Poutine, selon le ministère français des
affaires étrangères, a engagé un "processus de brutalité de longue
durée", et fait semblant de négocier.
Le choix de Vladimir Poutine d’envahir
l’Ukraine, imagine-t-on, s’inscrit dans une chronologie historique marquée par le ressentiment.
Celui-ci a connu plusieurs pics, dont l’un des plus aigus remonte à 1991,
l’année au cours de laquelle l’Ukraine s’émancipe de l’URSS et dit oui à
l’indépendance au référendum de décembre 1991. Le maître du Kremlin a une
vision mythologique et belliqueuse du « monde russe » car pour lui, l’Ukraine
est une terre russe ancestrale ; sa souveraineté actuelle est perçue comme un
affront. Il souhaite absolument revenir au mariage forcé entamé dès le XVII ème
siècle en affaiblissant l’Ukraine en tant qu’État nation indépendant, dans la
continuité de la guerre de 2014 au Donbass parce que, écrivait Zbigniew Brezinski, sans l’Ukraine,
la Russie cesse d’être un empire ».
Le 02 mars, l’Assemblée
générale des Nations unies adoptait une résolution déplorant l’agression
commise par la Russie contre l’Ukraine et exigeait que Moscou retire
immédiatement ses troupes du territoire ukrainien.
C’est donc une Russie
paranoïaque qui a, malgré la morale et le droit, insiste et occupe l’Ukraine. Le
président Baden voit en cela un crime de guerre. La France voit en l’occupation
illégale un processus à long terme et la mauvaise volonté de la Russie à
négocier son retrait de l’Ukraine fait dire qu’elle fait semblant de négocier.
Les accusations contre
Moscou de commettre des crimes de guerre en Ukraine se sont multipliées jeudi
17 mars 2022, à mesure que les victimes civiles augmentaient dans des attaques
sanglantes menées par l'armée russe. Isolée aux Nations Unies, la Russie a
renoncé à tenir vendredi 18 mars un vote au Conseil de sécurité de l'ONU sur
une résolution liée à la guerre en Ukraine, faute de soutien de ses proches
alliés. Si donc on considère qu’un Etat voyou est celui qui :
- ne respecte pas la loi officielle,
mais qui établit lui-même la sienne ;
- est caractérisé par une incapacité chronique à traiter avec le monde
extérieur,
-possède ou qui tente
d’acquérir des armes de destruction massive,
-soutient les groupes
terroristes,
-maltraite ses
populations
-est hostile aux États-Unis.
-est un États
préoccupants » qui représente un danger en
ce qu’il ne respecterait pas les règles établies de la société
internationale et doit être sanctionné.
- A un régime dictatorial
- utilise des armes de
destruction massive ou participe à la prolifération des armes de destruction massive
- porte des atteintes
à la sécurité internationale.
Alors, ne peut-t-on
pas dire que le comportement actuel de la Russie en fait une sorte de puissance
voyou ?
Pour conclure, on est en droit de se demander si un les Etats membres du Conseil de Sécurité peuvent allègrement violer le droit international et régulièrement, faire usage du véto chaque fois qu'ils sont en délicatesse avec la loi. N'est-il pas nécessaire de revoir les modalités d'usage de ce droit?
Un membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui, d'autorité, s'en prend à un membre des Nations Unies ne devient-elle pas une puissance
voyou ?
L’invasion de l’Ukraine, au-delà de la violation du droit international, semble relever d’une frustration d’un Etat amoureux éconduit cherche à punir par la mort l'amant qui refuse le viol. Tuer son amour au lieu de le laisser vivre, est alors pour la Russie un crime réparateur, acte expiatoire par le sang qui enverrait ailleurs l’impudique amant ukrainien, qui doit être humilié par un dépeçage méthodique qui laisserait la nation ukrainienne dépourvue de ses beaux atouts, la Crimée, la côte orientale avec ses ports, fenêtres sur le monde marin, voies vers l’étranger proche et lointain.
Daniel TONGNING
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