L’irrationalité camerounaise : mode d’emploi d’un chaos qui fonctionne

Au Cameroun, l’absurde n’est pas une anomalie. C’est un mode de fonctionnement. Une constante du paysage. Une logique parallèle qui, à force de répétition, devient normale.

Un pont s’effondre trois mois après son inauguration ? Pas de panique. L’administration a "pris acte" et promet une "enquête approfondie".

Un enseignant contractuel n’est pas payé depuis huit mois ? On lui demande... de faire preuve de patience.

Bienvenue dans un pays où l’irrationnel ne choque plus : il fait partie du décor. Mais pourquoi ? Et surtout : comment ça tient encore debout ?

Quand l’anormal devient banal

Au fil des années, les Camerounais ont appris à vivre dans le paradoxe permanent. Ce n’est pas que rien ne fonctionne. C’est que rien ne fonctionne comme prévu.

Les administrations sont lentes, les institutions souvent impuissantes, les règles changent sans prévenir. Mais malgré tout ça, les gens avancent. Ils s’adaptent. Ils créent.

Et plutôt que de crier au scandale chaque fois que le système se contredit lui-même, la majorité répond d’un calme stoïcien : « On va faire comment ? »
Cette phrase, aussi courte que puissante, résume toute une philosophie de vie. Elle n’est ni fataliste, ni passive. Elle est pragmatique. 

Le système D comme dogme

Loin de rester figés face aux absurdités quotidiennes, les Camerounais activent le mode survie: L’eau ne coule plus ? On va chez le voisin ou on creuse un puits. L’électricité saute ? On a prévu des bougies, des power banks, voire un groupe électrogène. Les concours publics sont pipés ? On tente quand même. Ou on crée son propre business. 
Ce n’est pas du chaos. C’est un ordre parallèle. Un désordre organisé. Un écosystème basé sur la débrouillardise, les réseaux informels, et l’intelligence sociale.

 Institutions fantômes et réalités vécues

Ce qui frappe, c’est l’écart entre l’État tel qu’il est censé exister… et l’État tel qu’il est réellement vécu. Sur le papier : institutions solides, lois modernes, discours maîtrisés. Sur le terrain : lenteur extrême, promesses sans suite, décisions incohérentes.
Et dans cet écart, le citoyen se fraie un chemin. Non pas grâce aux institutions, mais malgré elles.

L’humour comme arme de survie

Face à l’irrationnel, on pourrait s’attendre à de la colère. Elle existe, bien sûr. Mais elle cohabite avec un humour corrosif, typiquement camerounais. Là où ailleurs on manifesterait, ici on fait des blagues. Des mèmes. Des surnoms satiriques. Parce que rire, c’est garder le contrôle.
C’est aussi une manière de dire : « On n’est pas dupes. On voit tout. Mais on choisit d’en rire plutôt que de sombrer. »

Et si c’était une autre forme de rationalité ?

Et si ce qu’on appelle « irrationalité » n’était pas un défaut… mais un autre type de logique ? Une rationalité de survie, née de décennies de bricolage étatique et d’inventivité populaire.

Dans ce modèle : La règle est faite pour être contournée.

Le système officiel est une façade. La vraie vie se passe dans les interstices. Ce n’est pas idéal, évidemment. Mais c’est réel. Et tant qu’aucune alternative solide n’émerge, ce système tient. Parce qu’il est souple. Parce qu’il sait plier sans rompre.

Le défi : transformer sans effacer

Alors que faire de cette irrationalité ? La dénoncer ? Oui, mais pas seulement. Il s’agit aussi de la comprendre, pour imaginer autre chose à partir de ce qui existe déjà.
Le salut ne viendra pas d’un modèle étranger plaqué artificiellement. Il viendra peut-être d’une rationalité camerounaise à inventer : plus adaptée, plus humaine, plus enracinée.
Une rationalité qui ne nie pas l’absurde, mais qui le dépasse.

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À toi de parler

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