Propos sur la poésie philosophique

Mon oncle, après avoir lu l’un de mes poèmes, m’interrogea : « Relève-t-il de la poésie philosophique ? Et qu’est-ce donc que la poésie philosophique ? » Pris de court, je n’avais sur le moment qu’une seule idée à lui offrir : celle que j’associais à la vérité de la vie. Je lui répondis alors que la poésie philosophique est celle qui prête aux matières de la philosophie le charme des vers, même lorsqu’elles sont les plus abstraites.

Pourquoi donc mon poème, avec son penchant philosophique qu’il soit discret ou manifeste, avait-il suscité son étonnement ? Je le dis bien : c’était un véritable étonnement. Il s’interrogeait sur le langage même du poème, doutant peut-être de la capacité du langage poétique à répondre aux exigences de la vérité philosophique.

Je sais que la poésie est faite d’images, de sentiments, de mouvements passionnés de l’âme. Mais elle est aussi quête de formes souples, de couleurs vives, de profondeur, non pas seulement émotionnelle, mais aussi intellectuelle, saisie dans l’instant de son apparition. Elle s’accommode d’un style spontané, parfois flou ou nébuleux, surtout lorsqu’il devient musical. La philosophie, elle, exige rigueur et précision, une analyse abstraite qui mène à la généralisation d’un concept. Elle préfère la prose, exacte, austère, presque géométrique, revendiquant sa scientificité.

Et pourtant, art et science ont parlé la même langue à l’origine. Je rappelai à mon oncle que les premiers philosophes, Xénophane, Parménide et Empédocle, avaient utilisé le vers homérique pour exposer leurs idées sur la nature. Les disciples de Pythagore composèrent les Vers dorés, où la morale religieuse dominait déjà la métaphysique. Ces œuvres sont admirées encore aujourd’hui.

Certaines matières philosophiques semblent appeler naturellement les richesses du langage poétique. Comment mieux évoquer l’être qui préside à l’ordre du monde, les mystères de la destinée humaine, les aspirations, les craintes, ou les espérances religieuses, si ce n’est en vers ?

Je lui fis remarquer que notre grand-père, debout devant les crânes des ancêtres, prononçait des paroles aux accents poétiques, que notre grand-mère chantait des contes aux refrains magnifiques, et que le lyrisme ne manquait jamais dans les chants des fêtes, qu’elles soient joyeuses ou tristes.

Je lui rappelai aussi, lui qui enseigna la philosophie au lycée, que dans la littérature grecque ancienne, on trouve des hymnes philosophiques et religieux attribués à des figures mystiques. Il restait sceptique, comme toujours. Je l’aime ainsi. Alors je poursuivis : Au IIIe siècle avant notre ère, l’hymne de Cléanthe à Zeus, inspiré du stoïcisme, proclame l’unité divine dans un langage à la fois précis et sublime.

Même chez les Alexandrins, la poésie était philosophique. Proclus, par exemple, ne séparait jamais les doctrines chrétiennes des idées platoniciennes. Avec Ynésius, évêque de Ptolémaïs, ils composèrent des chants où philosophie et religion se confondaient.

Aujourd’hui encore, on peut rattacher à la poésie philosophique le Poème de la Religion de Louis Racine, les Méditations et Harmonies poétiques de Lamartine, que Jouffroy admirait pour leur capacité à traiter en vers les problèmes métaphysiques les plus ardus. Les épîtres, les satires, les contes à portée morale relèvent aussi de cette tradition.

Mon oncle, toujours contestataire, me demanda de jurer que je parlerais de la philosophie poétique chantée dans la culture Yemba. Je lui répondis que, philosophe, je revendique la liberté de penser poétiquement en images ou autrement sans faire du Yemba mon unique horizon. Mon idéal reste celui du poème philosophique.

Daniel Tongning – 26 février 2012 


Commentaires

  1. Mingnè Fôlépè2 mars 2012 à 06:23

    La première récompense d'un devoir bien accompli n'est-elle pas d'avoir accompli ce devoir? Je suis plus que content pour mes enfants et toute la postérité d'ailleurs, qui auront pour lecture aux côtés de Platon, Epicure, Césaire, Senghor, Daniel Tongning bien sûr, à propos de qui je me réserve de faire tout commentaire si ce n'est de lui transmettre mes sincères et chaleureux encouragements, sans négliger mes souhaits d'une santé de fer, d'un esprit saint dans un corps sain et de pas mal d'argent ((eh oui! nous en avons besoin)

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    1. Merci à Mingné Fôlépè !
      Placer ce nom Daniel Tongning à côté d'autres plus célèbres est un grand honneur que tu me fais. Ce que nous faisons c'est pour nos enfants. Qu'ils lisent et fassent lire ces oeuvres est important et je compte sur Mingné Fôlépè pour les faire connaître. Merci de tout coeur pour tes encouragements.

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  2. Cher ami
    Tes propos sur la poésie philosophique comme réponse à la demande de ton oncle m'ont à la fois passionné et impessionné.
    Au travers de ta plume toujours appliquée pour un ordonnancement de tes mots raisonnés,je dis "respect"
    Malick N'diaye

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    1. Merci, cher ami!
      Je sais la profondeur de ta vision des choses de la vie et connais la pertinence de tes propos et de ton jugement chaque fois que tu te prononce sur un sujet.
      Merci Malick.

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  3. Je me retrouve dans mon interminable suspense, religion ou culture. Après ceci je me suis retrouvé à conclure ma philosophie de vie dans ce mélange de culture yemba et de religion. merci mon Oncle.

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